Aider un enfant à grandir, ce n’est pas facile, et c’est un doux euphémisme, vous le savez bien. On passe par plusieurs phases : on nourrit, on éduque, on élève, et moi j’en arrive à une autre, maintenant que Marc – notre fils – a treize ans, une nouvelle phase que je ne savais pas encore comment qualifier…
Et puis j’ai tout simplement songé à ce que j’ai fait ces dix dernières années, c’est-à-dire « faciliter » des dizaines d’événements de team building avec des milliers de participants au total. « Faciliter », comme son nom l’indique très bien, c’est rendre les choses entre les gens simples, naturelles, faciles. Cela demande du doigté, de la patience, de la compassion. Car on ne travaille pas avec des carottes ou des kilos de savon, mais avec le ressenti et la personnalité des gens, leurs sentiments. Il faut faire attention, on peut « blesser » quelqu’un gravement.
Ainsi avons-nous dû nous occuper de groupes un peu compliqués, où la tension était palpable, où les gens attendaient la meilleure occasion pour s’envoyer quelques piques ou régler des comptes, au vu et au su des autres, en plein atelier (ou activité). Heureusement ce fut rare, car la majorité de ces événements furent des succès, c’est-à-dire quelques heures à l’issue desquelles les participants partirent avec le sentiment d’avoir appris quelque chose – de positif – sur leurs collègues et surtout sur eux-mêmes.
Et puis nous avions aussi promu et organisé des « team building juniors » pour des jeunes. L’impact de notre action y est plus difficile, car les ados – encore des enfants pour beaucoup dans leurs actes et leurs comportements – ont encore très présente en eux la notion du « jeu », du « on fait comme si », au contraire de bien des adultes qui ont oublié la puissance fédératrice des activités ludiques en terme de cohésion et d’apprentissage. Cependant nous avions réussi lors de quelques sessions à créer petit à petit le sentiment de groupe, d’équipe, un sentiment dont ils auront tant besoin dans leur vie d’adulte au travail.
Retour au présent : j’ai tout simplement réalisé, en voyant mon fils Marc regarder des vidéos de Norman puis désirer ardemment « en faire lui aussi » parce qu’il avait des choses à dire, que j’étais finalement entré – en tant que papa – dans la phase du « on facilite ». C’est-à-dire qu’après avoir nourri, éduqué, élevé, on entre dans la dernière phase avant de « lancer la fusée » : enseigner à son enfant l’art de mener ses projets à bien, de ne pas perdre sa motivation, de persévérer en dépit des difficultés et ainsi de se créer une authentique résilience face aux aléas de la vie. Tout un programme, non ? Cela fait partie de mon job de papa, celui que j’ai accepté d’endosser il y a plus de quatorze ans maintenant, lorsque nous avons projeté sa naissance – pour lui-même, pas pour renforcer ou souder notre couple et surtout pas pour la perpétuation de l’espèce humaine qui en fait trop en ce moment – et de l’aider à devenir un adulte fort et créatif.
Votre serviteur a l’habitude de tout ce qui est organisation, tournage, montage de vidéos, écriture de scripts, et donc je mesurais l’étendue des tâches qui attendaient Marc si celui si confirmait effectivement sa volonté de « faire » comme Norman. Pour l’instant sa volonté se résume à regarder la télé pendant des heures où à jouer sur sa console. Je ne lui jette pas la pierre car moi aussi j’ai connu cela. Cependant ce n’est pas un acte de volonté consciente et soutenue, mais plutôt une addiction. Carrément, je n’ai pas peur de le dire. Les dessins-animés violents sont conçus par des marketteurs aguerris qui connaissent bien leur public.
Par contre, écrire un script dans les formes pour pouvoir clairement dégager les scènes utilisant les mêmes décors et accessoires (pour les filmer les unes à la suite des autres), y prévoir les incrustations de textes et de sons avec des codes de couleur, puis ensuite tourner, monter, en bref « produire », c’est une autre paire de manches ! Là mon ado doit être motivé en dépit des inévitables difficultés : affres de la création, « courbe d’apprentissage » à la pente presque verticale pour maîtriser un logiciel d’édition vidéo non linéaire, de traitement d’images, de traitement du son, etc… Un vrai test de maturité en quelque sorte, non ?!
Alors j’ai donc commencé à penser de façon séquentielle : le premier « test de volonté » à réussir par Marc était d’écrire des scripts pour ses sketches. Eh bien, il en a écrit quatre en un soir !
Par la suite, nous avons l’écouté avec sa maman et lui avons conseillé d’en privilégier un seul, assez drôle, celui des « mamans ».
Après cela, j’ai élaboré un modèle de script sur Microsoft Word pour lui permettre de retranscrire son manuscrit de façon claire, scénique et intelligible par moi-même, qui deviendrais donc son assistant de production en quelque sorte…
Exercice difficile pour Marc qui n’est pas féru d’informatique comme son papa bidouilleur de la première heure (j’ai commencé avec un Thomson TO7-70 que mon papa avait acheté, Grâces lui soient rendues). Mais, fort de cette puissante motivation, il a réussi à le faire, petit à petit.
Ensuite je lui ai appris à convertir son texte en fichier html pour l’exporter facilement sur la tablette et ainsi pouvoir mémoriser son texte simplement et le consulter d’un mouvement du doigt.
Je vous passe les détails du tournage du premier sketch qui fut difficile et s’étala sur plusieurs jours. J’ai eu moi-même des hauts et des bas dans ma motivation car je ne voulais surtout pas devenir « esclave » de ce processus que je voulais surtout éducatif, en ce sens que MARC devait travailler lui-même en s’appropriant et en maîtrisant ce que je lui enseignais : je l’ai obligé à prendre des notes sur un cahier, à s’y référer. J’ai beaucoup parlé avec lui et j’ai commencé à en exiger plus de lui, à le mettre en face de ses propres incohérences, son manque de motivation. Je l’ai délibérément laissé se « démerder » seul car je lui avais annoncé clairement et dès le départ que je souhaitais lui « apprendre à pêcher », pas lui donner tout de suite le poisson.
Voilà le résultat ci-dessous:
Le vrai test était la DEUXIEME vidéo. J’étais déterminé ici à en faire « le moins » possible en dépit de mon envie de l’aider, pour qu’il mette tout seul ses mains dans le cambouis : des erreurs allaient être commises, des ordinateurs allaient se planter, il y aurait peut-être de la casse, mais bon, c’est cela « faciliter » : faciliter c’est ne pas agir en lieu et place des gens, c’est leur donner les moyens de faire les choses par eux-mêmes.
Ce fut l’occasion pour moi d’expliciter à Marc les notions de pragmatisme (donner le meilleur de soi pour réaliser un objectif avec les moyens du bord, dans un temps limite), de résilience, de motivation, d’accepter l’échec comme partie intégrante du processus, du « projet ». D’accepter la critique constructive aussi, sans en faire une affaire personnelle et d’amour-propre (un peu surdimensionné chez lui, comme tous les ados en fait…).
Alors nous avons laissé la caméra et la maison à Marc pour qu’il fasse lui-même son tournage. Seul. Je n’avais même pas relu et critiqué son script ! Il a filmé durant plusieurs jours et lorsque j’ai vu le résultat, j’ai été surpris par quelques séquences très drôles et surtout les moments – courts mais clairs – où l’on peut voir émerger un début de talent de comédie. Je fus sans pitié : je lui ai fait tailler des scènes pas drôles, critiqué sa manière de faire. Je lui ai donné aussi des conseils utiles sur le fait de rajouter des effets sonores et des « bulles » à certains moments. J’ai essayé de ne pas être trop interventionniste mais de bien lui faire comprendre qu’il faut être exigeant avec lui-même. Sans pitié, pour faire rire les gens, ce qui est un des jobs les plus ardus ! Et le truc, c’est qu’il ne s’est pas démonté ! Il a persisté, il a courageusement encaissé mes « remontrances ».
Il a finalement réussi à planter sévèrement mon ordinateur (comme je m’y attendais d’ailleurs…). Et alors je ne me suis pas gêné pour l’engueuler, lui dire qu’il faut respecter les gens et le matériel, qu’il faut ménager les uns et les autres et arrêter de vouloir toujours plus, de « travailler comme un cochon ». Je savais qu’il devait reprendre le montage pratiquement de zéro, que c’était un travail dur et fastidieux (pour moi), presque titanesque (pour lui). C’était donc son deuxième « test de volonté », à savoir : accepter l’échec, en tirer des leçons et se relever.
Eh bien en une après-midi, il a TOUT remonté, a appris à faire une boucle de son répétitive sur Audacity et l’inclure sans problème sur le logiciel d’édition de films. Il m’a scotché littéralement ce gosse ! Et donc après quelques fignolages, sa deuxième vidéo est en ligne sur YouTube.
Au jour où j’écris ces lignes, je ne suis pas en mesure de dire si Marc va continuer ou pas d’alimenter sa chaîne « Marc se fait des films » car c’est SON projet, pas le nôtre. Nous sommes bien entendu prêts avec sa maman à l’aider à atteindre le niveau supérieur en faisant avec lui des « brainstormings » pour lui faire enrichir sa qualité d’écriture et trouver sa « voix ». Je suis persuadé que la qualité de ses réalisations s’améliorera avec le temps car il a forgé sa volonté et je l’ai mise au pilori pour qu’il la teste, presque comme un adulte.
Ce que je sais cependant, c’est que notre fils a été capable de faire deux vidéos assez drôles, pratiquement de A à Z… Et pour cela, je lui tire mon chapeau !
Bravo Marc !
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