STRATÉGIE: le futur de l’éducation, ou comment comprendre et anticiper la révolution technologique qui s’annonce. Maintenant.
Votre enfant « perd son temps » sur les réseaux sociaux pendant des heures, aime regarder des vidéos qui vous semblent dénuées de tout contenu pédagogique? Et pourtant l’anachronisme n’est pas là où l’on pense… C’est lui (ou elle) qui a raison et qu’il faut « suivre ». Explications.
Je suis parent d’élève, mais aussi formateur en présentiel et surtout « en ligne ». J’ai décidé il y a quelques mois, après avoir publié quelques dizaines de livres numériques, de transmettre certaines de mes connaissances qui me semblent utiles pour créer un revenu durable et éthique sur internet. L’avenir dira si ce pari s’avère pertinent, mais plus j’avance dans cette démarche pédagogico-virtuelle, plus je constate un certain nombre de tendances lourdes préfigurant l’avenir.
Je suis persuadé que l’enseignement va changer de façon profonde dans les prochaines années et cela, non seulement parce que les coûts de l’éducation « classique » sont de plus en plus élevés et difficiles à supporter pour une société en pleine mutation qui fait la chasse au gaspillage et, je l’espère, bientôt à l’incompétence ou la légèreté blâmable de certains fonctionnaires, mais aussi parce que, tout simplement, on n’arrête pas le progrès.
Mon activité sur internet, et notamment auprès de sites de « e-learning » anglophones où les formateurs appliquent d’ores et déjà de nouvelles méthodes de diffusion des connaissances, m’amène à constater un peu avant l’heure ce qui est susceptible de se passer dans notre belle francophonie, un peu à la traîne en la matière, et c’est un euphémisme.
1. Une réalité tout simplement choquante
Je ne cesse de m’étonner de constater que, même en 2015, des écoliers, des collégiens, des lycéens, continuent de porter sur leur dos des sacs ou des cartables qui font souvent la moitié de leurs poids. Alors que dans un simple smartphone ou une tablette tactile, on peut stocker des centaines de livres… N’est-ce pas là un problème de santé publique?
Je ne cesse de m’étonner en constatant l’incapacité des équipes pédagogiques à se mettre d’accord pour tenter de réduire cette charge qui plie les colonnes vertébrales, met à rude épreuve ces squelettes et ces muscles qui ne sont pas encore complètement formés. Les parents se démènent alors pour venir déposer leurs bambins à l’école, en voiture la plupart du temps, et idem lorsqu’il s’agit de les recueillir. Alors qu’il serait sain que les enfants marchent un peu plus pour prévenir l’obésité ou se déplacent dans les transports en commun pour prévenir les effets de la pollution… Arrêtez-moi si ce que j’écris vous semble déraisonnable!
Je ne cesse de m’étonner de l’inventivité déployée par les professeurs chaque année en réceptionnant la liste pour l’année scolaire suivante. Quand une équipe pédagogique est capable d’émettre, en tant que prescripteur, voire ordonnateur de dépenses, une liste de « fournitures scolaires » qui engendre du chiffre d’affaires qui s’élève à des dizaines de millions d’euros, mais surtout des kilos sur les dos de nos gosses, on serait légitimement en droit d’attendre – en tant qu’usager du service public – qu’on prenne en considération quelques aspects « mineurs » comme, je ne sais pas moi, la santé des enfants?
Y-a-t-il besoin d’un mot de l’infirmière ou d’un certificat médical pour réaliser qu’un enfant de 50 kilos NE PEUT PAS PORTER un sac de 25 kilos? Hein? Je ne pense pas, non. Il faut simplement s’arrêter, et réfléchir. Et réaliser l’évidence…
Ne me comprenez pas mal: je suis conscient de la difficulté des professeur(e)s à exercer leurs métiers, et là n’est pas le problème. Mais il ne faut pas oublier que les décisions « pédagogico-budgétaires » ont des conséquences sur les squelettes, le plein des voitures. Je peux évoquer aussi le gaspillage des fournitures scolaires dont on n’utilise même pas la moitié, aux dépens des parents et de leur porte-monnaie.
Pour vous dire crûment le problème, nous sommes – pardonnez-moi – en plein délire. Et c’est du délire collectif. Donc votre serviteur en fait partie, même si nous essayons d’en réduire l’impact sur notre propre enfant dans la mesure du possible.
En effet, nous disposons désormais d’une technologie absolument fabuleuse qui nous permet de stocker des millions d’informations sur des supports légers. Je ne vous apprends rien: vous êtes sûrement en train de lire mes lignes sur l’un d’eux, non?! Allez, avouez!
Je ne suis pas ici pour faire de la polémique, simplement énoncer des faits qui me semblent objectifs.
Et, rassurez-vous, des solutions durables existent: inutile de virer tous les profs, de résilier tous les contrats de livraison de manuels scolaires. Ne vous méprenez pas! Il faut travailler avec TOUTES LES PARTIES CONCERNÉES, qui doivent simplement être PRÊTES À CHANGER.
2. Le retour annoncé du bon sens
Alors évidemment, on peut se demander si ce délire sociétal continuera longtemps.
Eh bien non. Pourquoi ?
Tout simplement parce que cela coûte trop cher: trop cher en bouquins « papier », trop cher en salaires de profs et en jours d’absence (maladie, grève et assimilés), trop cher en structures « en dur » (les milliers d’écoles, de collèges et de lycées) qu’il faut bien entretenir, trop cher en coûts induits par les scolioses, l’obésité, en déplacements de voiture, etc. Vous avez compris l’idée.
Et à un moment donné, il faudra bien arrêter et puis faire preuve de pragmatisme, de bon sens. C’est inévitable.
Tout comme on a délaissé les plumes d’oie au profit du stylo-bille, tout comme on a remisé les bouliers au profit des calculettes, tout comme on AURAIT DU implanter massivement les ordinateurs, tout comme on DEVRAIT ranger les livres papier au profit des tablettes numériques.
Le bon sens.
Alors oui, il y aura du fracas: les maisons d’édition vont descendre dans la rue, les professeurs vont faire la grève, les syndicats protesteront, mais il faudra faire des choix lorsque de toute façon, on n’aura plus d’alternative et surtout il n’y aura plus de volonté de financer des aberrations anachroniques. Se mettre à la table des négociations et ENFIN anticiper.
D’ailleurs, en y pensant bien: les maisons d’édition n’auraient-elles pas dû anticiper largement la transition numérique? Je suis bien placé pour dire que convertir un livre en numérique n’est pas chose aisée (j’ai créé des guides de voyage innovants), mais si je l’ai fait seul, une équipe de spécialistes déterminés peut bien en venir à bout, non?
Les professeurs ou alors, les conseils d’administration et les équipes pédagogiques, ne devraient-elles pas anticiper ce qui se passe ou bien sagement attendre les directives du ministère? Les chefs d’établissement sont désormais légalement responsables en cas de problème de santé survenant aux enfants scolarisés, s’il s’avère qu’il y a négligence ou faute.
Donc, place au bon sens.
3. Perspectives: ce que l’éducation sera
Il m’était difficile de proposer une vision structurée de ce que pourrait être l’avenir de l’éducation, surtout que, esprit de corps aidant, peu de personnes seraient disposer à écouter ce qu’un obscur « facilitateur et créateur digital », nouvellement venu, aurait à dire. Cela me semble normal, en quelque sorte. Mais bon, nul n’est prophète en son pays…
C’est pourquoi j’attendais patiemment mon heure, tapis dans l’ombre de mon navigateur internet, attendant ma proie…
Et là voilà, ici sur cette page en anglais produite par l’institut virtuel de recherche « envisioning ».
Cette projection est à prendre avec toutes les précautions nécessaires, mais elle a le mérite de jeter des bases de réflexion.
Il s’agit donc d’une sorte de chronologie prospective verticale – comme cette superbe « histomap » qui, elle, retraçait le passé de façon révolutionnaire (elle fut conçue en 1931!!).
Il faut donc la lire en fait de haut en bas avec:
- en colonnes, 3 types d’enseignement (« classroom », c’est à dire le présentiel en classe, « studio » = les élèves parlent les uns avec les autres, le professeur agissant comme facilitateur entre eux, « virtuel » = l’enseignement est « désincarné », virtuel, via internet)
- en lignes, les années, dans l’ordre chronologique de haut en bas: de 2012 à 2040.
On peut rapidement voir que la colonne « présentiel en classe » va progressivement diminuer jusqu’en 2040, au profit de « studio », mais surtout du « virtuel » qui constituera la majorité de l’enseignement à ce moment-là.
Ensuite on peut constater 6 pôles de différentes couleurs avec une sorte de structure moléculaire éclatée: ils ont pour vocation de décrire les différentes technologies susceptibles d’émerger dans les années qui viennent:
- en rouge, la « ludification », c’est à dire l’apprentissage par le jeu (2012-2018)
- en jaune « l’ouverture de l’information »: l’information n’est plus située géographiquement dans la classe ou dans l’école, mais bien ailleurs (2012-2018)
- en bleu, les « classes numérisées »: les tablettes, le suivi du regard, les tableaux virtuels, les écrans HD sur les murs… font leur entrée en classe (2014-2026)
- en mauve, la « désintermédiation »: l’intelligence artificielle gère de plus en plus d’aspects de l’apprentissage et le professeur est délesté d’un certain nombre de tâches répétitives et frustrantes au profit de l’enseignement pur (2016-2031)
- en prune, les « techniques de calcul tangibles »: les objets connectés font partie du quotidien et impactent tous les aspects de l’apprentissage (2018-2033)
- en vert, les « studios virtuels / physiques »: les hologrammes, la réalité augmentée, les écrans rétiniens réalisent le « pont » entre le « hors ligne » et le « en ligne ».
J’ai volontairement occulté les sous-ensembles de ces six pôles technologiques: les intéressé(e)s pourront s’y référer.
L’idée cependant est simple: nous sommes au bord d’une révolution éducationnelle.
Et, comme dans toute révolution, il faudra choisir son camp.
Cher Olivier,
je découvre votre publi avec infiniment d’intérêt et je suis d’accord avec une partie de votre argumentation. C’est vrai, on doit vivre avec son temps, l’informatique est un outil formidable et ce serait stupide de refuser de l’utiliser. Il semble logique que des matières telles l’histoire, la géographie ou les sciences voit les manuels scolaires se dématérialiser à court terme. Vous vous en doutez, il y a un « mais ».
Qu’attend-on de l’enseignement ? Cela me semble une question cruciale. S’il s’agit de faire des « têtes bien pleines », nul doute que le tout numérique peut remplir cet office, et c’est paradoxal, car j’entends de plus en plus souvent chez mes élèves « Pourquoi apprendre ? On trouve toute l’information sur le web » S’il s’agit de faire des « têtes bien faites », de développer l’esprit d’analyse, d’aiguiser le sens critique je ne suis pas sûre que l’outil informatique soit adapté, au moins pour l’instant. Je ne dis pas que ce ne sera jamais le cas, mais pour l’instant l’outil numérique, s’il permet d’alléger les cartables, et de mettre à jour les cartes de géographie en temps réel ne peut pas remplacer pour les plus jeunes, l’enseignant. Les tâches répétitives de l’enseignant, sont autant de moments où il peut repérer les problèmes de chaque élève et tenter d’y remédier. De plus, le savoir n’est pas tout, la motivation et l’enthousiasme d’un enseignant peu changer l’avenir d’un enfant, notamment ceux issus de milieux où la connaissance est peu valorisée.
Par contre, il est un domaine dans lequel « nous trainons la patte », en France : il s’agit de l’enseignement universitaire, du moins pour le niveau licence.
Il est certain que permettre l’accès grâce au numérique à l’enseignement des plus prestigieux professeurs, où de spécialistes reconnus dans des domaines spécifiques, devrait être déjà en place. Mais même-là, je ne crois pas qu’on puisse faire l’économie d’un temps d’échange et d’analyse critique avec un enseignant, faute de quoi la recherche risque de devenir une suite de variations à la marge.
Les livres dématérialisés, les cours dispensés par internet sont de formidables atouts pour les enseignants et leurs élèves, cela ne fait pour moi aucun doute. Néanmoins, je pense que nous ne serons plus là pour en débattre depuis bien longtemps, qu’il y aura encore des enseignants …
Cordialement
C.A
Eh bien chère Christine,
Je te remercie d’avoir pris le temps de réagir à mon article : c’était le but 🙂
Je ne suis pas capable de répondre à la question « qu’attend-on de l’enseignement ». Par contre, on peut raisonnablement prévoir ce qui est possible de se passer dans les années qui viennent. Il suffit d’observer…
Je suis tombé dans l’informatique quand j’étais petit et suis donc un apôtre du numérique dès la classe primaire, voire même dès la maternelle. Il ne faut pas attendre l’université !!! Tes élèves ont une manière caricaturale de présenter les choses : « pourquoi apprendre » ? » mais qui n’est pas complètement fausse en fait. Pas totalement vraie non plus, car il faut bien évidemment « apprendre », au sens du « par coeur », au sens d’intégrer dans son « inconscient » individuel et collectif un certain nombre de valeurs, de faits historiques et sociologiques, etc. Parfaitement d’accord, et là la présence d’un(e) enseignant(e) en chair et en os est une obligation : il faudra absolument conserver cela. Mais réduire les anachronismes au profit de la technologie.
Je pense en fait qu’il faut leur « apprendre à apprendre ». Internet va devenir au fur et à mesure des années une sorte d’extension de la mémoire, d’extension des connaissances, une sorte « d’annexe du cerveau » en quelque sorte. On commence à le constater d’ores et déjà, avec des applications comme Evernote ou Google Keep qui permettent de noter des trucs et de s’en « rappeler » très facilement. Et ce n’est pas de la science-fiction.
Mais il y aura tant d’informations, tant de déchêts aussi, qu’il faudra exercer son sens critique et sa « raison » dans une mesure telle que nous ne sommes pas encore en mesure de l’envisager (mais bon, j’ai quelques idées…). Les algorithmes des moteurs de recherche font déjà ce travail, en « profilant » les intérêts de chacun lors de nos requêtes sur le net, mais ce ne sera pas suffisant. Lorsque nous n’avions, toi et moi, que des informations dans les bibliothèques, des CDI ou les coupures de journaux, nous n’avions pas vraiment l’opportunité d’exercer un choix.
C’est cela que je veux dire par « apprendre à apprendre » : identifier quelle information nous avons besoin de trouver (et ce n’est pas simple, déjà, de poser correctement un problème), la chercher, et faire le tri dans les zillions d’occurrences éventuelles. Ensuite aiguiser son sens critique et son intelligence, car le défi désormais, c’est le « trop d’informations », pas le « pas assez ». C’est fini, révolu.
Je vais mener un atelier bénévolement au collège de mon fils cette année, intitulé « coaching brevet et projets » où je vais proposer aux élèves des méthodes pour apprendre autrement (carte mentale notamment et pourquoi pas une initiation rapide au diagramme de Gantt), des ateliers d’expression orale pour préparer la première épreuve du genre de leur vie, et surtout promouvoir le travail collaboratif sur google drive et google docs VIA internet. Car je ne cesse de m’émouvoir à l’idée que ces futurs jeunes adultes ne sont pas du tout préparés à travailler en équipe (ce qui est quand même LA notion fondamentale du monde du travail), ne sont pas flexibles et agiles dans leur pensée, ne sont pas assez « résilients » face aux règles du jeu de notre monde qui changent en ce moment à une vitesse vertigineuse. Il faut en faire – impérativement – des têtes bien faites qui utilisent internet comme un levier de ressources, comme un vecteur sans précédent de connaissances dans notre humanité, et donc de lutte contre l’ignorance qui engendre la violence sous toute ses formes… Bon, je m’envole un peu là, mais c’est l’idée : internet est une opportunité de paix pour notre humanité, parce qu’il (ou elle ?) rapproche les gens en éliminant les barrières, inexorablement…
Je ne manquerai pas de te et de vous tenir au courant des résultats de cette petite expérience que j’avais déjà initiée lors d’un bénévolat de soutien scolaire à la Croix Rouge de Martinique https://cristinaolivierrebiere.wordpress.com/2014/04/08/racismes-en-martinique/ , avec de très bons résultats 🙂
Donc, merci encore Christine Argensse pour ton commentaire 😉
N’hésite pas à récidiver 🙂
Bien amicalement,
Olivier